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Le blog de Robert
23 décembre 2007

de Jalet el Alba à l'oued Jougilat

                   Mardi 24 février trois heures du matin,je sors de mon sommeil. Le silence enveloppait notre campement de Jalet el Alba. Les myriades de constellations en l'absence de dame la Lune illuminaient le ciel. Pendant la nuit saharienne ne jamais ouvrir ses yeux car vous ne pourriez plus les fermer, tellement le spectacle est magnifique. La voûte céleste est toujours resplendissante. J'avais encore trois bonnes heures à dormir et à l'instant où j'allais fermer mes stores oculaires, soudain une étoile filante stria le firmament en traînant son panache de poudre d'or. Mes yeux sont figés et je reste en apnée jusqu'à disparition complète de cette star de la nuit . J'ai envie de manifester ma joie, mais ce fut mon secret jusqu'à ce jour. J'avais fait un voeu...Ces moments là sont magiques. J'ai eu bien du mal à plonger dans les bras de Morphée.

                        Tout près du bivouac la dune se dessinait lentement dans le ciel qui s'embrasait de teintes chaudes de l'aube saharien. Il est  six heures. L'air est un peu frais et il faut en profiter car il fera chaud aujourd'hui.

                        Le réveil d'un campement se fait toujours en silence dans une ambiance ouatée, feutrée où le baldaquin de notre lit s'empare de couleur dorée du soleil levant.                                             

             De part et d'autre des têtes surgissaient des sacs de couchage. Les bêtes de sommeil que nous étions avaient beaucoup de difficulté à s'extirper de leur litière. Nos méharistes étaient rassemblés autour du feu buvant leur premier thé. Ils donnaient l'impression de tenir discrètement conseil. Un nomade ne parle jamais très fort, comme pour ne pas briser le silence. Les randonneurs sont debout et se préparent pour une belle et longue journée. Le soleil était déjà haut quand nous déjeunions. Comme chaque matin nous participons au bât. Notre aide était appréciée par nos amis méharistes. Nos sacs au dos, nous nous engagions dans l'oued Faraoum. Ces dunes sont encore bien plus belles sous le soleil du matin. Admiratifs devant ce relief formé par les courbes majestueuses et sensuelles nous  perdions la cadence, lorsqu'un troupeau de chèvres conduit par un jeune berger escaladait une dune, pour disparaître derrière une autre dune à la recherche de quelques touffes d'herbe très rare.                      

005c_jeune_berger_et_ses_ch_vres_mauritaniennes

-Rencontre-

                       La vie est rude dans ces contrées, pour l'homme et encore bien plus pour les animaux qui mènent un perpétuel combat pour  survivre sous l'astre suprême, le soleil.

005nous_ne_sommes_jamais_seul_dans_le_d_sert

-D'où viennent elles et où vont elles-

                      Après une bonne heure et demi de marche presque forcée, nous quittions les dunes en direction de l'oued pour atteindre la tarf. Sur notre chemin, un palmier solitaire surgissait majestueux, je fus surpris et me demandais  comment avait il pu être planté à cet endroit. Peut être était il le dernier survivant d'une oasis jadis hospitalière et rafraîchissante.

004_le_prince_du_d_sert

-Prince du désert solitaire-

                             C'était toujours avec regrets que j'abandonnais les dunes, car c'était pour moi comme dans un rêve de marcher dans cette palette aux tendres couleurs, paradoxalement opposées aux multiples dangers qui pouvaient surgir de cette matière. Nous longions l'erg pour ensuite traverser cet oued. Il nous conduisait sur le tarf qui dominait ce site grandiose. Changement de marche, le sol devenait plus dur et nos chevilles n'appréciaient guère les cailloux. Nous étions vite arrivés haletants, sur le plateau. Gilles nous proposa une halte. Nous prenions le temps de vider nos chaussures et d'aérer nos orteils dans le vent du nord-est. Malgré cet alizé il faisait très chaud et nos gosiers devenaient de plus en plus secs. Dans le désert boire peu et souvent, évite bien des soucis musculaires. Il fallait vite assouvir notre soif, alors nos gourdes se vidaient. Pour aromatiser mon eau, j'y ajoutais quelques gouttes d'anthésite à l'anis qui était fort apprécié par mes autres compagnons de marche. A la mi journée le soleil frappait déjà très fort et les maigres acacias nous offraient très peu d'ombre. Le chèche devenait indispensable. Mettre son chèche n'était pas si aisé que cela, mais les démonstrations faites par Atman avaient fait de nous de vrais sahariens. Nous étions bien reposés, quand notre guide nous fit signe qu'il était temps de reprendre la petite piste tracée à travers ce reg. Ce plateau rocailleux et brûlant n'était pas trop étendu, heureusement!!!.

005b_les_fleurs_d_acacia_sentent_tr_s_bon

-Malgré son apparence, de cet acacia émanait un parfum subtil-

                      Un subtil parfum régnait dans cette chaude ambiance. Les souvenirs olfatiques de mon enfance commençaient à s'éveiller. Ce parfum n'avait pas de secrets pour moi, c'était la fleur de l'acacia, mimosa épineux sauvage. Aucune végétation ne poussait sur ce plateau et pourtant ça sentait tellement bon. Personne d'autre n'avait  remarqué cette fragance. Dans le désert, des instants précieux comme celui-ci sont magiques. Dans le désert, il faut rester ouvert à toutes les sensations et ne pas être hermétique. Il faut être attentif, tous les sens aux aguets, tout simplement. La cadence était rapide et  forcée, car il fallait vite sortir de cet endroit hostile. A l'horizon  réapparaissaient enfin des dunes dansant dans la brume chaude comme un mirage. Sans autres indications, le reg que nous traversions, s'achevait  en pente douce vers l'oued Ouagchoda. La terre rouge s'était substituée à la roche noire, usante et maltraitante pour nos chevilles. Une haie d'acacias sous cette chaleur accablante, émergeait des butes de terre pétrifiée par le temps. Il fallait faire remarquer à mes compagnons d'où émanait ce parfum délicat, de ces minuscules fleurs jaunes perdues dans les épines blanches de ces branches. Après cette leçon de botanique, nous traversions l'oued sous un soleil écrasant et sans complaisance, pour  arriver enfin à notre campement de la mi-journée.

                       Il y avait des moments où nous souhaitions un ciel brumeux, car cette rapide traversée fut une épreuve pour nous. La soif était insupportable. Les gourdes furent vite à sec. Notre équipe de chameliers avait choisi un très bon bivouac dans l'ombre d'acacias. La vaillante équipe savourait cette ombre et profitait du petit air pour mettre en réanimation les orteils meurtris. Chacun d'entre nous avait repéré son aire d'isolement et de récupération pour s'y installer. Après une bonne marche comme celle-ci, il était rare que nous usions nos dernières forces à bavarder inutilement. En attendant l'invitation de notre chef cuisinier à passer à table (grande natte tressée installée sur le sable d'un endroit plat et dans l'ombre), nous apprécions la position allongée pour laisser nos muscles se détendre.

                      Ce fut sans précipitation que nous nous installions autour de la natte et regrettions déjà la position allongée. Au menu, une belle salade composée, et pour le dessert une pastèque avec toute sa rondeur et ses belles couleurs nous attendaient. Atman nous fit signe que la découpe était réservée à l'un d'entre nous. A constater la mine des autres je compris très vite que cette corvée était pour moi. Alors je pris la responsabilité du sacrifice de la pastèque en essayant de ne pas trop la faire souffrir. La chair rouge et sucrée nous rafraîchissait avec son jus succulent. Le thé nous fut servi assez rapidement, ce qui nous permis de retourner à notre petite sieste.

                      Les cris des dromadaires arrivant au campement nous arrachaient à notre sommeil. Ici Christian, traînant derrière lui son sac à dos abandonnait son lieu de repos. Là-bas Raymond encore allongé, entrait dans une gymnastique d'étirements, les yeux mi-clos. D'un buisson, une tourterelle profitait d'un petit vent pour nous faire partager son roucoulement. Toute sorte d'insectes ailés butinaient dans les acacias en fleurs. L'air était de plus en plus sec. Avec méthode et l'expérience acquise, le chargement de nos bagages se terminait rapidement. Les gourdes pleines et les muscles reposés nous nous dirigions sud-ouest 220° pour atteindre le village de Joalet au bord d'une guelta.

                011_en_direction_du_village_Joalet

                          -En direction du village Joalet.Je suis le dernier de cordée.-

                        Dans cette marche nous ne prenions pas le temps de contempler la beauté des dunes. Pressés de trouver cette eau dans une région aussi aride que celle où nous évoluions, nos pieds avançaient assez rapidement et nos yeux sondaient le sable, pour ne pas s'enfoncer. Gilles nous distançait facilement, il se déplaçait avec une légèreté déconcertante qui nous donnait quelques complexes. Il avait l'air de ne pas se soucier de son équipe, mais peut être était-il aussi pressé que nous l'étions, d'être au bord de cette guelta. Le changement de terrain fût rapide. Nous passions du sable à la roche, en quelques secondes. Cette pierre cassante tintait sous nos pas lourds et pressés, elle nous conduisait dans une rue bordée de maisons en pierre de même couleur. Quelques minutes auparavant nous ne nous doutions pas qu'un village se dissimulait dans cet erg. Les portes en bois lustré, étaient closes. Nous étions dans un décor de western. Ce village semblait déserté, quand à notre surprise, deux silhouettes surgirent de l'ombre. Nous nous approchions d'eux et leurs serrions la main. Ils avaient l'air étonnés de notre courtoisie. Nous échangions quelques "Salam al éikoum!". Cette rue descendait en douceur vers un plateau sableux.  En laissant derrière nous les maisons de Joalet il nous fallait encore traverser quelques dunes où la caravane nous attendait. Tous ensemble, descendions enfin vers ce lac insolite en espérant que ce ne fût pas un mirage.                                                                                  

014a_la_guelta_alliment_e_par_l_eau_de_pluie

-Guelta de Joalet alimentée par les eaux de pluie-

                               Nous n'en croyions pas nos yeux et nous ne rêvions pas. C'était bien de l'eau, mais peu profonde. Dans d'autres contrées on se serait vite débarrassé de nos vêtements pour faire trempète. Mais là, cette eau avait pour nous une autre dimension. Gilles nous apprenait qu'il n'avait pas plu depuis deux ans. Les nomades de la région vénéraient cette eau car elle était leur survie, utilisée pour leur consommation. Alors nous la respections. Et l'envie de tremper nos pieds pour les rafraîchir quittait vite notre esprit. Une bande de terre jaune, d'une largeur de quinze à vingt mètres cernait le pourtour de la guelta. Le fond était également de terre couleur jaune. Ceci qui expliquait que le niveau d'eau se réduisait petit à petit. Notre méharée nous avait rejoint et les dromadaires ne tardaient pas à s'abreuver lentement pour mieux déguster cet instant de bonheur.

                      Pendant ce temps là nous  profitions  également de cette halte, pour vider nos gourdes. Dominique n'était en forme et se plaignait du mal au ventre qui le faisait grimacer. Sans doute ses intestins ne supportaient pas le régime alimentaire saharien. Avant d'arriver à Joalet j'avais remarqué que Dominique ralentissait sa cadence dans les dunes. Enfin nous l'installions confortablement sur l'ambulance de service, le dromadaire prévu en cas de malade ou de blessé. Quelque part nous l'envions car la journée fut pénible et nos jambes n'étaient plus aussi vigoureuses que cela. Il nous fallait traverser l'oued Chéda qui devenait en réalité un erg nouveau. Cet oued était envahi depuis vingt ans par de superbes jeunes dunes, de sable très mou, dans lequel il était très pénible de progresser. La végétation qui dominait cet ancien oued calotropis et acacias, émergeait encore et péniblement du sable conquérant. Combien de temps résisterait-elle?. Gilles toujours en tête près de la caravane, bifurquait vers la gauche, nous quittions ces dunes pour l'oued Jougilat dominé par le tarf. Il était temps d'augmenter la cadence, l'aprés midi nous semblait bien long et le bivouac du soir bien loin. Les vaillants randonneurs que nous étions, rattrapèrent la caravane. Dominique ne s'était pas endormi sur sa monture, en tête de la caravane, guidée par Atman. Je faisais tout pour ne pas me faire distancer par le dromadaire qui me précédait, mais ce n'était pas si facile que cela. Il marchait avec légèreté. Les soles, pieds du dromadaire, ne s'enfonçaient pas dans le sable. Nos pieds eux avaient bien du mal à rester en surface. Un chamelier expert pouvait en examinant les traces des soles laissées sur le sable, déterminer l'âge du dromadaire, si il avait bu depuis longtemps ou pas, si il était bâté, étonnant non?. La caravane ne ralentissait pas et nous avions des difficultés à suivre. Le soleil frappait fort et j'avais vraiment soif. La couleur terre ocre de l'eau de notre gourde je l'acceptais maintenant, ainsi que les particules d'herbe ou je ne savais quoi qui flottaient en surface. Il fallait faire vite pour boire, la caravane n'attendait pas. Du sommet de la dernière dune nous apercevions dans le secteur le plus bas de l'oued Jougilat, une large tache verte. De notre position, il nous était difficile de se faire une idée sur cet espace arboré. Etait-ce une oasis, était-ce de la culture?. Nous étions trop éloignés et la curiosité nous pressait. Il était dix-sept heures et nous venions de marcher durant deux heures trente. Nous nous déplacions en principe à une allure de trois kilomètres à l'heure dans l'erg, avec approximativement quinze kilomètres par jour dans les mollets. En descendant de la dernière dune, Gilles nous dirigeait vers ce jardin d'Eden. En fait une demi heure plus tard à notre arrivée nous constations que ce n'était pas un jardin mais un bosquet d'acacias qui émergeait du sable.

015_bivouac_dans_l_oued_Jougilat

-Bivouac dans l'oued Jougilat-

                             en fait notre équipe chamelière nous avait choisi un endroit de rêve. Nous étions dans un jardin des plantes à la façon saharienne. Les ondulations sableuses donnaient un air majestueux aux acacias. Des tourterelles, en couple, nous interprétaient de tous côtés du campement, l'hymne à la paix saharienne. Ce furent des instants de bonheur et nous en profitions sans mots dire. Nous avions tout loisir de choisir une excellente place pour la nuit et le choix était bien difficile. De mon emplacement enfin choisi sur une dunette qui dominait le bivouac, je pouvais observer, mais pas épier, mes compagnons et l'équipe de chamelier. Cela ressemblait à un film muet, avec pour musique d'accompagnement le chant des tourterelles. Dans ces moments là, j'oubliais mes petites souffrances que la marche de cette journée m'avait fait subir. Côté cuisine Gilles nous préparait du jus d'oranges, pas pressé, mais en poudre, dans pot à eau en inox.

                      A chaque arrivée au bivouac de fin de journée, Gilles exécutait ce rituel. Il déposait sur la natte un ou deux paquets de biscuits, le jus de fruits et parfois quelques friandises, dattes ou abricots secs. Les orteils à l'air dans des chaussures plus légères, nous nous réunissions pour goûter.

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              -Tourterelles au bivouac de Jougilat-

                         Dans la cuisine improvisée Raymond et Gilles se mettaient à l'ouvrage pour la  corvée de pluche et Atman entreprenait la préparation d'une Kesra (galette). Atman assis sur son tapis, avait les mains dans la fars (farine) qu'il mélangeait dans sa Jirka (Bassine) avec de alma (eau) dans laquelle il trempait sa pierre de zarla (sel). Il pétrissait avec énergie la grosse boule de pâte à en faire raisonner la jirka. La nuit tombait doucement et les dernières tourterelles nous avaient abandonnés pour la nuit. Atman était fier de nous faire cette démonstration et me disait: "prends des photos Rrrrrobèrrrr, pour montrer en France comment nous, on fait notre pain!". Cette simple tâche exécutée par Atman avait sur nous un effet magique. Les chameliers étaient allongés près du feu dont les flammes montaient haut et remplaçaient petit à petit la lueur du soleil couchant. A l'aide d'une badine Atman fit un creuset au centre du brasier. Il fit rouler la pâte entre ses mains tout en l'écrasant, pour obtenir rapidement une galette et la jetait dans le creuset. Avec sa badine il recouvrait la galette du mélange de sable et cendre chaude.

018_Atman_notre_boulanger              019_mis_au_four_de_la_taguela            020_le_sable_et_cendre_recouvre_la_galette

                      De voir Atman recouvrir de sable la pâte molle, mes dents commençaient à me faire mal. "Jamais je ne pourrais manger ce pain là" me disais-je. Il fallait attendre vingt minutes pour retourner la kesra qui avait pris déjà une couleur appétissante. Notre chef boulanger pratiqua la même opération pour l'autre face, et nous lui posions la question au sujet du sable que nous serions obligés d'avaler si nous mangions cette kesra. Avec un large sourire, il nous répondait, que pas un grain de sable nous n'aurions entre les dents. Sceptiques mais curieux tout de même, il nous tardait de passer à natte!!!.

                        Sortie du feu, la galette cuite résonnait sous les coups de badine que lui administrait son créateur pour contrôler la cuisson. Gilles terminait la soupe qui sentait bon tous les légumes de la terre et tous les épices d'Afrique qui commençait à titiller nos papilles. Mon estomac manifestait contre la faim subite. A genoux, Atman découpait la galette en petits morceaux, qu'il déposait dans  la jirka serrée entre ses jambes. De temps en temps il nous en offrait un petit morceau pour nous mettre l'eau à la bouche. La kesra était délicieuse et croustillante, à notre étonnement, pas un grain de sable sous la dent. Nous étions installés, impatients de manger cette soupe qui sentait si bon. Nos torches frontales étaient éteintes ce soir là comme pour apprécier la douceur de cette nuit et pour mieux savourer notre repas. De toutes les façons la torche frontale allumée attirait une multitudes d'insectes volants qui virevoltaient au-dessus de notre bol, pour nager ensuite dans la soupe, alors....

                        La robza (soupe) était divine. C'était une panade de luxe. Elle fut le plat de résistance de ce repas. Dominique avait bien soupé, il allait mieux. Nous ne tarderions pas à rejoindre notre couchage, accablés par les 36° de l'après midi. Les braises du feu de camp veillaient sur notre bivouac et nos yeux remplis de magnifiques images de cette belle randonnée, ne tardaient pas à se fermer. 

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